March 17, 2003

Le Multilatéralisme: Fondement D’un Nouvel Ordre Mondial

LE MULTILATÉRALISME: FONDEMENT D’UN NOUVEL ORDRE MONDIAL

 

Les événements du 11 septembre ont changé le cours de l’histoire. Ils ont révélé aussi bien l’arrogance du pouvoir que sa vulnérabilité. Ils ont exprimé le degré de haine et de méfiance dans le monde d’aujourd’hui. Le 11 septembre demeurera un rappel tangible et douloureux d’un monde qui se trouve au bord de la désintégration morale, spirituelle et politique.  Le   terrorisme,  le   néoracisme  et   le   néomilitarisme,  avec  toutes  leurs ramifications et répercussions, sont les symptômes d’un monde instable et menaçant.

 

L’humanité ne peut plus vivre à l’ombre des menaces, des incertitudes et des polarisations qui se multiplient et s’intensifient. Je crois fermement que le multilatéralisme est la seule manière de traiter, en une vision globale, les défis, les problèmes et les soucis complexes auxquels est confrontée l’humanité. Le multilatéralisme doit donc devenir le fondement d’un nouvel ordre mondial. Pourquoi et comment? Je m’explique.

 

1. Le multilatéralisme recherche le consensus. Avec ses interactions existentielles et son interdépendance croissantes le monde mondialisé nous rappelle constamment l’importance vitale du consensus qui se trouve être absent de la démocratie occidentale. Consensus ne signifie pas céder ou renoncer à ses convictions; il s’agit de transcender les intérêts particuliers et, par un processus ouvert et responsable, chercher une stratégie commune.  Le consensus n’est donc pas une attitude passive mais plutôt un engagement actif supposant des sacrifices et mêmes des risques pour le bien commun. Le multilatéralisme respecte et défend le pluralisme et la diversité et tend vers le consensus. Par contre l’unilatéralisme, par sa politique unipolaire et par sa force hégémonique, poursuit ses propres intérêts stratégiques et mène à la polarisation et la confrontation.

 

2. Le multilatéralisme œuvre pour une sécurité commune. Des systèmes de sécurité coopératifs  sont  essentiels  pour  un  nouvel  ordre  mondial.  Ce  concept  de  sécurité commune et globale s’oppose aux doctrines de sécurité nationale. Dans le contexte d’une mondialisation agressive et incontrôlable, nulle nation ne peut se prétendre en sécurité si le droit à la sécurité d’autres nations n’est pas respecté. La sécurité pour tous doit devenir une stratégie commune pour un monde menacé par une violence sans précédent. Cette sécurité  commune  ne  peut  être  mise  en  place  par  des  moyens  militaires  ou  par l’hégémonie économique mais par la protection des droits et le respect de la dignité de toutes les nations ainsi que par un dialogue ouvert et crédible. Le multilatéralisme est capable d’assurer un avenir plus sûr et stable à l’humanité.

 

3. Le multilatéralisme poursuit une paix commune basée sur une justice commune. La sécurité est inséparable de la paix et la paix est sous-tendue par la justice. Ce n’est pas là une simple notion sociologique mais une leçon d’histoire et une expérience vécue par beaucoup de nations. Bâtir la paix exige de générer la justice. La paix n’est donc pas l’absence de guerre; c’est une situation où les droits de tous à la sécurité, à la liberté et à une vie dans la dignité sont pleinement assurés. Par conséquent les menaces à la justice sont des menaces à la paix commune, et vice versa. Pour l’unilatéralisme la justice et la paix  sont  exclusivement conditionnées et  déterminées par  la  sécurité et  les  intérêts stratégiques. Il n’est point difficile de trouver des exemples concrets. Le multilatéralisme, au contraire, tend vers une paix commune et globale fondée sur une justice commune et globale.

 

4. Le multilatéralisme soutient le pouvoir du peuple. Dans de nombreuses sociétés le pouvoir du peuple est sacrifié au pouvoir de l’état et l’économie du citoyen à l’économie nationale. Le multilatéralisme soutient les acteurs de la société civile à protéger les intérêts du peuple et il est en même temps soutenu par le pouvoir du peuple. On ne peut pas ignorer le peuple dans les processus de prise de décision. La démocratie véritable est fondée sur les intérêts du peuple. En fait les manifestations et les différentes formes de protestation populaires récentes contre la guerre en Irak ne sont que des indicateurs éloquents du rejet par le peuple de l’unilatéralisme. Il est important que la force réactionnaire de la société civile se transforme en force dynamique et créative.

 

5. Le multilatéralisme tend à promouvoir les processus démocratiques. Une société qui  n’est  pas  bâtie  sur  les  valeurs  démocratiques  devient  source  d’injustice  et d’oppression.  La  démocratie  véritable  s’assure  la  participation  et  la  diversité.  Les principes démocratiques doivent cependant répondre à des réalités concrètes et des situations spécifiques. La démocratie occidentale ne peut prétendre être un modèle et une référence de démocratie. La démocratie doit être contextuelle. Une démocratie imposée devient une démocratie dictatoriale. Le multilatéralisme doit aider les états à développer une démocratie que le peuple est capable de s’approprier; une démocratie basée sur la participation, la diversité et la transparence.

 

6. Le multilatéralisme considère l’éducation et parfois les approches préventives et punitives comme des stratégies. Les conflits peuvent être résolus et même prévenus par divers  moyens  de  surveillance,  la  médiation    et  la  diplomatie.  Donc  l’information publique et l’éducation sont essentielles dans un monde potentiellement riche en tensions religieuses et conflits ethniques. Le multilatéralisme assure l’utilisation constructive et responsable de la force, même lorsque celle-ci est employée comme dernier recours, quand toutes les options non-violentes sont épuisées. Mais ces stratégies doivent être protégées et contrôlées par le droit international. L’emploi de la force est considéré comme le moyen le plus efficace de l’unilatéralisme. Je crois qu’une telle mesure devient tôt ou tard contre-productrice; elle peut même provoquer des conflits et intensifier les tensions surtout dans des régions fragiles.

 

7. Le multilatéralisme crée la confiance mutuelle. Le manque de confiance est à l’origine de nombreux conflits. Créer la confiance est un facteur crucial de résolution des conflits et de la coexistence harmonieuse et pacifique entre religions, états et communautés. L’unilatéralisme ne peut créer la confiance; bien au contraire il fait naître méfiance et peur. Le multilatéralisme génère la confiance et le dialogue et mène à la compréhension mutuelle, si urgente dans les sociétés pluralistes.

 

Le multilatéralisme n’est donc pas simplement une idéologie, mais essentiellement une vision du monde manifestée par une politique et une stratégie claires et bien définies. Le multilatéralisme doit cependant a) être sous-tendu par des valeurs morales communes qui transcendent les croyances religieuses dogmatiques et interpellent les définitions étroites d’intérêt national; b) se référer au jugement de la société civile qui détient le pouvoir véritable; c) assumer une responsabilité commune et exprimer un sens profond de l’importance de se rendre mutuellement des comptes.

 

L’Organisation  des  Nations  Unies  est  l’expression  légitime  et  crédible  du multilatéralisme. Elle offre une plate-forme et un contexte mondiaux où les nations se rencontrent, se parlent, discutent et décident. Elle défie les nations de prendre  une action responsable et efficace pour le «maintien de la paix et de la sécurité internationale» (Charte des Nations Unies). Il ne peut y avoir d’alternative à cette organisation qui assure le dialogue et la collaboration entre les nations même au milieu des divergences. La réalité douloureuse est qu’aujourd’hui l’ONU semble mal assurée, ses résolutions ne sont pas appliquées et ses recommandations ne sont pas prises au sérieux par ses états- membres. Il faut absolument sauvegarder la crédibilité de l’ONU, protéger son intégrité et renforcer son autorité.

 

L’unilatéralisme peut assurer une victoire militaire, mais il ne peut établir une paix véritable et permanente tout comme il ne peut promouvoir dialogue, confiance et réconciliation. Au contraire l’unilatéralisme risque de déstabiliser encore plus le monde et de désintégrer les sociétés en générant le néocolonialisme et  en poussant au terrorisme et à  la haine. Une société mondiale pluri-ethnique, pluri-culturelle et pluri-religieuse a besoin d’un système de gérance mondiale, définie et contrôlée par les Nations Unies, qui encourage la confiance mutuelle et la responsabilité partagée; un système fondé sur la justice pour tous, la paix pour tous et la sécurité pour tous.

 

La chute du communisme n’a pas aidé à l’établissement d’un nouvel ordre mondial. Le système  bipolaire  a  été  remplacé  par  l’unipolarité. La  mondialisation exige  que  les nations, les religions et les cultures œuvrent et luttent ensemble.

 

Au cours de l’une des séances du Conseil de Sécurité sur la question irakienne, le Ministre des Affaires étrangères du Royaume Uni a interpellé son collègue français, affirmant que le choix n’est pas entre la guerre et la paix comme celui-ci l’avait dit. Ceci est peut-être vrai. Pour ma part, le choix véritable doit se faire entre le multilatéralisme et l’unilatéralisme. Je prie et j’espère que le multilatéralisme l’emporte. Le plus tôt serait le mieux pour toute l’humanité et pour l’avenir du monde.

 

ARAM I

Catholicos de Cilicie

 

17 mars, 2003

Antélias, Liban

 

Aram I Catholicos de Cilicie est aussi le Modérateur des comités Central et Exécutif du Conseil Œcuménique des Églises.

 

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